L'ICC et le RCIP se racontent

Brian Arthur : directeur de l'ICC, 1976–1980

Episode Summary

Vos animatrices, Nathalie Nadeau Mijal et Kelly Johnson, interviewent Brian Arthur, le deuxième directeur de l'Institut canadien de conservation (ICC). Il a occupé cette fonction de 1976 à 1980. Originaire du Royaume-Uni, Brian Arthur est devenu un expert mondial de la conservation de la poterie (ou, comme il le dit lui-même, du « collage de pots »). Il a déménagé au Canada au début des années 1970 pour travailler à la Division des lieux historiques de Parcs Canada. Dans cet épisode, vous découvrirez comment, sous sa gouverne, l'ICC a réussi à traverser des débuts difficiles pour devenir le chef de file mondial de la conservation qu’il est aujourd’hui. « L'ICC et le RCIP se racontent » est un balado pour les professionnels du milieu muséal et du patrimoine qui veulent avoir un aperçu des coulisses de l’Institut canadien de conservation (ICC) et du Réseau canadien d'information sur le patrimoine (RCIP).

Episode Notes

Vos animatrices, Nathalie Nadeau Mijal et Kelly Johnson, interviewent Brian Arthur, le deuxième directeur de l'Institut canadien de conservation (ICC). Il a occupé cette fonction de 1976 à 1980. Originaire du Royaume-Uni, Brian Arthur est devenu un expert mondial de la conservation de la poterie (ou, comme il le dit lui-même, du « collage de pots »). Il a déménagé au Canada au début des années 1970 pour travailler à la Division des lieux historiques de Parcs Canada. Dans cet épisode, vous découvrirez comment, sous sa gouverne, l'ICC a réussi à traverser des débuts difficiles pour devenir le chef de file mondial de la conservation qu’il est aujourd’hui. 

Regardez Brian Arthur travailler à la restauration d'un objet pour le Musée canadien de l'histoire dans la vidéo « The Restoration of the Michipicoten Pot – The Pot's Background, Strategy and Preparation (1) » (en anglais seulement).

« L'ICC et le RCIP se racontent » est un balado pour les professionnels du milieu muséal et du patrimoine qui veulent avoir un aperçu des coulisses de l’Institut canadien de conservation (ICC) et du Réseau canadien d'information sur le patrimoine (RCIP). 

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L'ICC, un organisme de service spécial au sein du ministère du Patrimoine canadien, fait progresser la conservation des collections patrimoniales du Canada et en fait la promotion grâce à son expertise en science de la conservation, en restauration et en conservation préventive. L'ICC travaille avec les établissements et les professionnels du patrimoine pour faire en sorte que ces collections patrimoniales soient préservées et accessibles aux Canadiens et aux Canadiennes, aujourd'hui et dans l'avenir.

Le Réseau canadien d'information sur le patrimoine (RCIP), un organisme de service spécial du ministère du Patrimoine canadien, offre de précieuses ressources de gestion de collections à la communauté muséale canadienne ainsi qu'un point d'accès en ligne à des millions d'objets de collections. Le RCIP appuie les musées canadiens dans leur travail de documentation et de gestion de leurs collections, ainsi que dans la diffusion de l'information sur leurs collections afin que ces renseignements soient accessibles aujourd'hui et dans l'avenir.

Crédits :

Merci à notre invité, Brian Arthur.

L’ICC et le RCIP se racontentest une production de l'Institut canadien de conservation, ministère du Patrimoine canadien.

Nathalie Nadeau Mijal, productrice et coanimatrice

Kelly Johnson, coanimatrice

Voix hors-champs par Mike Tobin.

Pop-Up Podcasting, aide à la production

Notre musique a été composée par Lee Rosevere.

Episode Transcription

Brian Arthur, Institut canadien de conservation

Durée : 00:47:18

[Musique : « We Don’t Know How it Ends » de Lee Rosevere, tirée de son album Music for Podcasts 6. Style : minimalisme électronique]

Brian Arthur (BA) : D’ici trois ans, vous ferez de l’Institut canadien de conservation (ICC) le plus important institut de conservation au monde. Si vous ne vous en sentez pas capable, dites le-nous maintenant, car si vous ne le faites pas, nous vous mettrons dans une barque avec une seule rame et nous vous renverrons en Angleterre.

 

Nathalie Nadeau Mijal (NNM) : Nathalie Nadeau Mijal au micro; vous écoutez L’ICC et le RCIP se racontent.

 

NNM : L’épisode d’aujourd’hui est vraiment spécial. Kelly Johnson et moi allons interviewer Brian Arthur, le deuxième directeur général de l’Institut canadien de conservation, de 1976 à 1980. Le premier directeur général, Nathan Stolow, étant décédé en 2014, Brian Arthur est en quelque sorte la seule personne capable de nous donner un aperçu des toutes premières années de l’ICC. Au moment où il est engagé, l’Institut, qui n’existe que depuis environ trois ans, est aux prises avec de gravescertaines difficultés. On pourrait dire qu’il vient alors à la rescousse de l’organisation en embauchant du personnel, en inaugurant la nouvelle administration centrale située dans Innes Roadsur la rue Innes et en bâtissant la réputation nationale et internationale de l’ICC. C’est également lui que nous devons remercier pour les laboratoires mobiles, sans nul doutepossiblement le programme le plus populaire de l’ICC. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les experts de l’ICC embarquent dans des fourgonnettes modernisées – qui sont essentiellement des mini-laboratoires – et parcourent les routes du pays pour offrir des services de conservation aux musées régionaux. Nous consacrerons probablement un épisode complet en baladodiffusion à ce sujet. Parmi ses nombreux talents, Brian Arthur est un expert mondial en restauration de la poterie ou, comme il aime à le dire, « en recollage de pots cassés ». Vous devinerez à son accent qu’il est originaire d’Angleterre. Notre première question est donc la suivante : Brian Arthur, pourquoi êtes-vous venu au Canada?

 

BA : Dans les années 1970, je travaillais comme agent principal de la conservation au Oxford City and& County Museum. Un jour, ma directrice m’a dit : « Avez-vous vu le poste affiché par le Service des lieux historiques nationaux au Canada? » Je lui ai répondu que non, puis je lui ai demandé si elle me suggérait de présenter ma candidature. Elle m’a dit oui, que je devrais le faire. J’ai donc postulé et reçu un appel téléphonique de la Commission de la fonction publique. Si je me rappelle bien, mon interlocuteur m’a demandé : « Acceptez-vous ce poste au Service des lieux historiques nationaux et souhaitez-vous venir au Canada? » Je lui ai répondu que oui, que c’est pour cela que j’avais posé ma candidature. On m’a alors dit : « Parfait, nous nous occuperons du déménagement de votre famille ». Ils ont donc organisé notre voyage. Nous sommes arrivés en plein milieu du terrible hiver de 1970, je crois. Nous avons atterri à Ottawa. C’est ainsi que je suis arrivé au Canada.

 

Je dois préciser que mes fonctions consistaient alors à installer des laboratoires de conservation non seulement à Ottawa, mais également en région. S’ils m’ont offert ce poste, c’est parce qu’ils savaient que je possédais une certaine expérience acquise dans un grand nombre de sites saxons, archéologiques et vikings. Ils voulaient que je confirme que le site de Terre Neuve était vraiment un site viking, sujet qui suscitait une controverse à l’époque, comme vous pouvez l’imaginer. J’ai donc passé un an ou deux à Terre Neuve, où j’ai prouvé, du moins je l’espère, qu’il s’agissait d’un lieu historique national, devenu aujourd’hui un site du patrimoine mondial.

 

Kelly Johnson (KJ) : Et combien de temps avez-vous travaillé là-bas?

 

BA : J’ai fait quelques allers-retours à Terre Neuve pendant deux ou trois ans pour y installer des laboratoires. Nous avons finalement réussi à engager un archéologue spécialiste des Vikings, qui s’est installé dans la province afin de travailler pour le gouvernement fédéral.

 

NNM : Hmm… Qu’avez-vous pensé de l’Anse aux Meadows lors de votre première visite?

 

BA : J’ai trouvé que c’était le plus bel endroit du monde. J’invite d’ailleurs tous les Canadiens que je rencontre à s’y rendre. Mon ami Charles Hett, qui a fort probablement voyagé plus que moi, avait l’habitude de rouler ses pantalons et de s’aventurer dans la baie qui regorgeait de poissons plats de bonne taille : plies, limandes et soles. Armé d’un bâton à l’extrémité fourchue, il remplissait des seaux de poissons que nous mangions au souper. C’est un endroit très romantique.

 

Pour revenir à nos moutons, j’étais très heureux au Service des sites historiques. Je le considère encore comme le meilleur ministère où travailler au Canada, car tous ceux qui s’y trouvent, du ministre au simple fonctionnaire, s’intéressent à l’environnement, aux animaux ou à quelque chose du genre. Ce sont des professionnels qui comprennent bien sûr les enjeux de la conservation.

 

J’étais donc très heureux là-bas. Puis, un jour, j’ai reçu un appel à 2 h 30 du matin. « C’est Jennifer McQueen, je parle bien à Brian Arthur? » Je lui ai répondu que « oui ». Elle a poursuivi en disant : « on s’est rencontrés dans une soirée il y a environ six semaines, et vous m’avez confié à quel point l’état de délabrement de l’ICC vous attristait ».

 

Nous avons brièvement discuté de l’Institut canadien de la conservation et des difficultés qu’elle éprouvait à le diriger. Je savais qu’ils avaient renvoyé le directeur. Elle m’a alors demandé, à 2 h 30 du matin, si je voulais devenir le prochain directeur de l’ICC. Je lui ai répondu que j’allais y penser, mais que je voulais qu’elle sache que j’étais très heureux au Service des lieux historiques. Elle m’a demandé si je pouvais venir pour une entrevue dans la matinée. Je me suis rendu à leur bureau. C’était un très petit bureau, et Bernard Ostry, qui était alors secrétaire général de la Société des musées, était assis sur le rebord de la fenêtre. Jennifer et moi nous sommes assis à une petite table et avons parlé pendant cinq à 10 minutes. Comme Bernard ne posait pas de question, je me suis dit que je devais parler un peu plus longtemps. J’ai une grande facilité à m’exprimer, je suppose. Après environ cinq minutes, Jennifer m’a fait signe de me taire.

 

Bernard m’a remercié d’être venu, puis a quitté la pièce. Jennifer m’a demandé pourquoi j’avais tant parlé. Je lui ai répondu que c’était parce qu’il ne me posait pas de question. C’est alors qu’elle m’a dit : « N’ai-je pas été assez claire, nous vous offrons le poste! » Je lui ai dit que c’était très bien, mais que j’étais très heureux dans mon poste et que le Service des lieux historiques était un organisme régional de conservation important. Je lui ai aussi mentionné qu’il me faudrait sans doute donner un préavis de trois mois. Elle m’a alors assuré que ce n’était pas nécessaire, puisqu’elle avait parlé à mon sous ministre la veille. Je pouvais donc entrer en fonction le lendemain. Elle m’a ensuite dit que je devais m’assurer que mon passeport et mes papiers étaient à jour, car nous partions pour Venise. Si je me rappelle bien, c’était pour un grand congrès du Conseil international des musées (ICOM) et je devais le coprésider.

 

Le précédent directeur général de l’ICC était Nathan Stolow. Avant de quitter son poste, il avait organisé des entretiens avec des restaurateurs dans différentes villes d’Europe. Jennifer voulait que nous fassions ces entretiens pendant le congrès. Nous y sommes allés avec Joe Dorning, qui s’occupait depuis longtemps de la dotation en personnel des programmes scientifiques du gouvernement, y compris pour l’ICC. Sa présence comme employé de la Commission de la fonction publique assurait la légalité de la démarche afin que nous puissions embaucher du personnel sur place. Nous avons embauché des gens; ce ne fut pas une mince affaire, car je devais engager du personnel pour l’ICC alors que je n’y avais jamais mis les pieds. Heureusement, je me m’étais renseigné sur ce que l’ICC était censé faire.

 

Donc, à notre retour de Venise, je suis arrivé à l’ICC qui, en l’absence d’un directeur général, était dirigé par un groupe de sept personnes composé à parts plus ou moins égales de restaurateurs et de scientifiques et surnommé les Silver Seven. C’était ainsi qu’on les appelait au sein de l’Institut. Je suis allé dans mon bureau quelque part ici dans l’immeuble. Ils y avaient installé une toilette à l’ancienne, vous savez avec une citerne et une chaîne, et il y avait un catalogue Sears. Ils m’ont dit qu’étant donné qu’ils ne voulaient pas que j’intervienne trop dans leur travail, ils avaient installé une toilette dans mon bureau avec un catalogue Sears pour me divertir. [Rire] Je leur ai répondu que je devrais peut-être leur expliquer ma façon de procéder à titre de nouveau directeur. Je leur ai dit que je serais très reconnaissant d’obtenir leur aide et leurs conseils, collectivement et individuellement, mais que je ne comptais pas diriger les activités de l’Institut avec les Silver Seven.

 

J’ai découvert très rapidement l’antagonisme considérable qui existait entre les scientifiques et les restaurateurs : ils ne se parlaient pas, ce qui leur compliquait la tâche. La situation était très tendue à mon arrivée. Les membres du groupe croyaient pouvoir continuer à contrôler l’Institut, ce que je n’allais certainement pas accepter. Je leur ai donc expliqué que j’étais tout à fait disposé à tenir des réunions, hebdomadaires au début, puis mensuelles, avec les chefs des différents services pour connaître leurs besoins et leur expliquer ma vision de la direction.

 

J’étais prêt à tenir des réunions une fois par mois avec le personnel, s’ils le voulaient. Nous avons adopté cette façon de faire, mais les dissensions n’ont pas disparu pas pour autant.

 

NNM : Pourquoi les relations entre les scientifiques et les restaurateurs étaient-elles si tendues?

 

BA : Les restaurateurs pensaient qu’ils devaient dire aux scientifiques dans quel domaine ils avaient besoin d’aide. Les scientifiques et certaines personnes au caractère assez difficile – je pense à John Taylor – pensaient que les restaurateurs ne connaissaient rien. Ils ne connaissaient pas les sciences, la chimie ou la physique. Les scientifiques se sentaient donc investis du devoir de les conseiller et de les orienter dans la bonne direction. Bref, ils ne se préoccupaient pas les uns des autres, et la configuration du bâtiment n’arrangeait pas les choses. À cette époque, les restaurateurs travaillaient en bas. Tous les matins, les scientifiques se rendaient sur la passerelle qui surplombait – je présume qu’elle existe encore – pour observer le travail des restaurateurs d’œuvres d’art. Ensuite, à la pause-café commune, les scientifiques disaient aux restaurateurs « vous avez mal fait telle et telle chose ».

 

KJ : Ouah!

 

BA : Les restaurateurs ne se sentaient pas respectés, mais nous avons fini par surmonter ce problème.

 

Nous avions un autre problème majeur. Il y avait environ huit étudiants, je ne me souviens plus du nombre exact, qui avaient été embauchés avec la promesse qu’on leur enseignerait la conservation et qu’ils obtiendraient une sorte de diplôme. C’est l’idée de Nathan, Nathan Stolow, l’ancien directeur. Ils passaient du temps avec les scientifiques et professeurs concernés, et beaucoup de temps à mettre en pratique ce qu’ils avaient appris. Le problème avec ce projet, c’est que l’éducation est de compétence provinciale et que le fédéral ne pouvait pas créer un cours de ce genre. D’autant plus que nous financions alors en partie le cours de conservation à l’Université Queen’s, qui venait de commencer. Malheureusement, l’une de mes premières tâches à titre de directeur fut d’expliquer à ces jeunes que nous allions faire de notre mieux pour les former comme stagiaires. Je leur ai également promis personnellement que nous tenterions de financer leur formation théorique à l’extérieur s’ils le désiraient.

 

Si je me souviens bien, nous avons effectivement envoyé deux personnes à l’Instituto Centrale de Rome, qui est l’Institut de Rome, mais cinq ou six étudiants, principalement des femmes, ont très mal pris ma décision. Certains sont partis travailler dans les laboratoires régionaux et d’autres ont tout simplement décidé de quitter l’Institut. Ce fut donc un début très difficile. Il y avait aussi beaucoup de vols majeurs d’équipement. Quand je suis arrivé, tout le monde était inquiet, vous savez. Étant donné que certaines recherches en cours auraient été fichues en cas de panne de courant, nous disposions de deux grosses génératrices en bas, mais l’une d’elles a disparu, puis l’autre. Je suppose que le voleur ne savait pas que le Corps des commissionnaires avait installé des censeurs sur toutes les portes afin de pouvoir localiser les gens présents dans l’édifice la nuit, et qu’on tenait un registre. Nous avons ainsi découvert qu’une personne était entrée dans le local d’entreposage et en était ressortie par la porte arrière.

 

Je’ai donc dû renvoyer pas mal de gens à mon arrivée. Je me souviens d’un restaurateur d’œuvres d’art qui faisait affaire avec des galeries d’art dans les Prairies. Je suppose que vous savez qu’il existe encore aujourd’hui de très bonnes copies de grands tableaux. Il y a beaucoup de copies qui suscitent toujours la controverse. Ce gars-là contrefaisait des signatures pour ces galeries, et il travaillait pour moi.

 

KJ : Ici? À l’époque, à l’ICC?

 

BA : Oui, c’était un restaurateur d’œuvres d’art. J’ai reçu un appel de la GRC. Un inspecteur est venu me voir. Il m’a dit : « Vous savez, nous travaillons sur cette affaire, pas ici même, mais il semble que l’un de vos employés soit impliqué. Il falsifie des signatures. Nous aimerions que vous lui parliez et nous installerons de l’équipement pour enregistrer votre conversation. »

 

NNM : Donc vous avez dû porter un micro pour l’attraper?

 

BA : Oui, et pendant la discussion, l’inspecteur de la GRC était caché dans ce qui était alors la salle à café de mon bureau. Je lui ai expliqué que je le soupçonnais d’être un faussaire, même si je n’avais pas de preuves définitives. Nos restaurateurs d’œuvres d’art se souviennent de lui. Je peux vous dire qu’il s’appelle M. Brillo. Les restaurateurs, les restaurateurs d’œuvres d’art devrais-je dire, disaient toujours qu’il nettoyait ses peintures avec un tampon Brillo. [Rire] Je crois qu’il était aussi mêlé dans d’autres affaires. Il est venu me voir un jour après notre discussion et je lui ai demandé : « Allez-vous enfin avouer avoir commis ce crime ou allez-vous attendre que la police vous pince? ». Il est revenu avec un avocat – ce qui m’a foutu une peur bleue – et son propre matériel d’enregistrement. Il s’est assis et m’a dit : « Je suis suspendu à vos lèvres, Monsieur Arthur ». Je lui ai rétorqué : « Eh bien, vous savez, je vais parler à mes supérieurs et j’aimerais que l’avocat du Ministère soit également présent. Si vous voulez connaître mon opinion à titre officieux, je pense que nous pouvons prouver que ce monsieur a contrefait ces peintures. Mais si vous tenez à en discuter, je tiens à ce qu’un avocat nous représente, l’Institut et moi. »

 

Le gouvernement a réglé toute l’affaire discrètement, je crois. On n’en a pas fait grand cas. Il a dû quitter son poste, toutefois. Mais j’avais un plus gros problème : les étudiants n’avaient plus le statut d’étudiants ou de stagiaires. Ils étaient en quelque sorte des employés occasionnels, ce qui fut difficile au début. Nathan Stolow, quant à lui, n’avait pas été licencié : on lui avait octroyé un contrat d’environ 60 000 dollars pour écrire un livre sur la conservation. Le livre n’a jamais été publié, ce qui ne me surprend pas. Je crois que ce contrat n’était qu’un stratagème pour faciliter son départ sans mettre le nouvel organisme dans l’embarras. Voilà le portrait de nos débuts.

 

NNM : Et il n’était plus présent à l’époque?

 

BA : Il était aussi directeur des programmes de conservation au Musée des beaux-arts. La situation était donc très difficile. Le gouvernement avait plusieurs raisons d’éviter un scandale à grande échelle avec quelqu’un qui travaillait toujours pour un autre établissement. Quoi qu’il en soit, tout a fini par s’estomper. Nathan, qui est malheureusement décédé l’année dernière, était vraiment l’un des plus grands experts mondiaux. C’est lui qui, il y a environ trois ans, a conçu la vitrine dans laquelle est préservée la Déclaration d’indépendance des États Unis, un document d’une grande importance. Elle se trouve maintenant dans la vitrine conçue par Nathan, qui est malheureusement décédé quelques mois après. Il a continué ses recherches en conservation et a écrit d’éminents articles. Mais sur le plan politique, il lui était impossible de rester à l’Institut. S’il n’était pas parti, je n’aurais pas pu occuper mon poste, et les répercussions politiques auraient été épouvantables.

 

Nous avions une très bonne relation avec l’Université Queen’s, par l’intermédiaire de Ian. Nous avons continué de financer cette organisation dans le cadre de l’Université. Ian Hodkinson m’a souvent confié que ce cours n’aurait pas pu être offert sans cet argent. Les fonds passaient par l’Institut et par ce qui était autrefois le Réseau canadien d’information sur le patrimoine. Nous mettions l’argent en commun. C’était très différent à l’époque. L’argent était remis à Ian et à l’Université Queen’s évidemment. Bien sûr, beaucoup de gens sont revenus chez nous, et nous avons rétabli la paix et la tranquillité à l’Institut.

 

Nous avons embauché des Européens, des personnes très éminentes.

 

KJ : Selon vous, combien de personnes ont été embauchées à la suite du voyage que vous avez fait au tout début?

 

BA : Je crois que nous avons embauché une dizaine de personnes sur une période de trois ou quatre ans. Pas tous d’Europe, certains venaient d’Afrique, des experts africains. Je me souviens de cet Africain qui a traversé le Sahara seul. Jennifer lui avait demandé pourquoi il avait fait ce voyage et comment il s’y était pris. Il lui a répondu qu’il avait une bouteille de Coca-Cola. Ce à quoi elle a répliqué : « Mais une seule bouteille de Coca-Cola ne vous a sûrement pas suffi pour traverser le Sahara ». Il a éclaté de rire – c’était vraiment un drôle de gars – et lui a répondu : « Non, vous ne comprenez pas, je ne le buvais pas, je me frappais la tête avec la bouteille pour rester éveillé ». C’est ce genre d’entretiens que j’ai vécu avec Jennifer et, évidemment, elle l’a embauché sur-le-champ.

 

NNM : Et vous embauchiez tous ces étrangers parce qu’il n’y avait pas? Il n’y avait pas de…

BA : Il y avait un ou deux restaurateurs, principalement des restaurateurs d’œuvres d’art, mais presque aucun restaurateur d’artefacts, ce qui me préoccupait, étant moi-même restaurateur d’artefacts. Nous devions donc faire venir ces personnes afin que je puisse remplir mon mandat. On ne m’a donné qu’une seule instruction : assumer le poste de président d’ICOM Canada, soit le Conseil international des musées. Jennifer m’a dit : « Nous savons tout de vous et de ce que vous avez fait dans le monde. Nous nous sommes informés. Vous allez devenir président du groupe canadien de l’ICOM d’ici un an. » Bernard a ajouté : « D’ici trois ans, vous ferez de l’Institut canadien de conservation (ICC) le plus important institut de conservation au monde. Si vous ne vous en sentez pas capable, dites le-nous maintenant, car si vous ne le faites pas, nous vous mettrons dans une barque avec une seule rame et nous vous renverrons en Angleterre. » [Rire] Telles étaient mes instructions, que j’espère avoir suivies. Je suis devenu président au Canada; et en fait, en deux ans, je suis devenu président du conseil consultatif de l’ICOM, qui est composé de l’ensemble des présidentes et des présidentes du monde entier. J’ai été leur président à Paris. Et même si j’ai quitté l’Institut au bout de quatre ans, je n’ai que de bonnes choses à dire sur le gouvernement canadien, car j’ai ensuite travaillé dans ce qui était alors le nouveau Musée de l’homme.

 

J’ai continué à entretenir des liens très étroits, et bon nombre de mes successeurs sont devenus présidents du Comité international à Paris, le Comité de la conservation. Cependant, après cela, ma principale préoccupation fut de rencontrer M. Pelletier, qui reprenait le portefeuille de la culture, que le premier ministre surveillait de près à ce moment-là. C’est lui qui a déclaré que le gouvernement fédéral devait décentraliser ses activités culturelles et patrimoniales dans tout le pays. Le ministère de la Culture était financé par l’ensemble des citoyens, et il était déjà déplorable que les deux ou trois musées nationaux de l’époque se soient trouvés à Ottawa. Il fallait donc, pour l’amour du ciel, faire en sorte que l’Institut et tous les autres organismes que nous allions mettre en place avec la Société des musées canadiens – qui faisait partie des réalisations de M. Pelletier (il avait fondé la société) – soient répartis dans l’ensemble du pays. Mon souci était alors de trouver une manière d’y parvenir. Il m’avait clairement demandé de mettre en place des laboratoires régionaux, ce que j’ai fait en négociant avec des restaurateurs, des bibliothécaires et des sous-ministres de la Culture dans les provinces. Ils ont tous été incroyablement aimables avec moi, d’autant plus que j’étais en quelque sorte un nouveau venu, parce que nous leur donnions quelque chose – un service et des fonds –, ce qui est toujours bien accueilli dans les provinces. Néanmoins, ils avaient des craintes quant à l’étendue du contrôle qu’ils auraient sur ces services : même si nos services étaient gratuits, c’était quand même leurs biens culturels dont il était question. Nous avons donc mis en place des conseils consultatifs en Ontario, dans les Prairies, en Colombie Britannique, dans la région de l’Atlantique et au Québec, ce qui était un problème entier par soi-même.

 

Ces postes n’étaient pas tous pourvus en personnel; celui de directeur des Prairies n’a jamais été occupé. Nous avions donc convenu avec les provinces de créer des conseils consultatifs. Mais j’ai toujours dit comité. Ils étaient idéalement composés d’un bibliothécaire, d’un restaurateur (d’œuvres d’art ou d’artefacts) et d’une personnalité de la culture. Nous essayions de recruter environ quatre ou cinq personnes pour chacun de ces comités. Ils n’étaient pas rémunérés, mais leurs dépenses étaient payées. Mon adjointe de direction devint l’adjointe de direction de ces comités. Avec l’aide de Janet Bridgeland, la première de mes adjointes, les membres des conseils pouvaient rédiger leurs procès-verbaux, auxquels je ne pouvais opposer mon veto. Les provinces tenaient beaucoup à cette condition, de même qu’à ce que ces rapports soient ensuite transmis au secrétaire général de la Société. Cela dit, je faisais lire les rapports au sous-ministre et je pouvais alors lui présenter des objections. Ce processus s’est avéré très important et très, très utile. J’aimerais d’ailleurs qu’il soit toujours en place, mais ce n’est pas le cas, malheureusement. C’était très important, car on demandait très souvent à l’Institut de traiter un tableau, des artefacts, des livres rares et d’autres biens. Je me souviens d’un livre rare, un livre très rare. Nous nous apprêtions à le traiter, vous savez, c’était un livre très important. Les restaurateurs de livres aimeraient bien mettre la main dessus… Le restaurateur d’œuvres d’art de la galerie provinciale m’a alors dit : « Nous possédons trois autres exemplaires dans la province, Monsieur Arthur ». Je lui ai répondu : « Oh mon dieu, je ne le savais pas. Je pensais que c’était la seule copie ». Il m’a alors demandé si nous allions consacrer deux ans de travail d’un restaurateur pour ce livre. Nous avons décidé qu’il n’en était pas question. Voilà le genre de conseils qu’ils pouvaient nous donner quand on nous demandait de traiter un tableau, mais qu’on nous apprenait l’existence de deux autres exemplaires. Les galeries nous contactaient directement à Ottawa, c’était donc terriblement utile pour notre travail de restauration. C’était également une excellente façon de faire du lobbying politique, même si je n’étais pas censé être mêlé à ce genre d’activités, bien entendu. Ils étaient assez satisfaits de faire passer leurs messages et, une fois l’an, ils rencontraient le sous-ministre ou le secrétaire général de la Société à Ottawa.

 

Je pense que c’est le processus qui me manque le plus de mon rôle de représentant de l’Institut, car il permettait à Ottawa de rester en relation avec les provinces et de se tenir au courant du type d’artefacts qu’elles valorisaient. Je pense qu’après cela, avec leurs encouragements, nous avons décidé d’organiser un service de laboratoire mobile et une grande exposition, qui fut présentée au rez-de-chaussée de l’Institut et qui s’intitulait A Future for the Past (Un avenir pour le passé). Mais cela a irrité les directeurs des musées nationaux, qui considéraient que l’Institut piétinait leurs plates-bandes. Je veux dire, les gens faisaient la queue à l’extérieur pour voir l’exposition.

 

NNM : Je pense que ce fut la seule et unique exposition organisée par l’ICC.

 

BA : Oui, ce fut le début de la fin pour moi. Les fonctionnaires m’ont alors mis sur la liste des têtes à faire rouler.

 

NNM : Vous voulez dire qu’ils vous ont mis sur une liste noire?

 

BA : Oui, mais l’exposition a été fabuleuse. Ce fut l’une des meilleures expositions, des gens du monde entier se sont déplacés pour la voir. Même le directeur du Smithsonian est venu la visiter.

 

NNM : Alors, dites-moi, que retrouvait-on dans cette exposition?

 

BA : Elle s’intitulait Un avenir pour le passé. L’exposition commençait par une toile détériorée, puis nous présentions toutes les étapes du travail des restaurateurs, l’avant et l’après à l’aide d’images et de textes bilingues. Nous utilisions des objets du passé et nous avons pu obtenir des tableaux assez anciens que les gens ne craignaient pas de voir détruits. Le département des sciences avait fourni des coupes fines, des images sous rayons ultraviolets, et des photographies infrarouges de ces toiles; donc tout cela faisait partie de l’exposition. Mais je ne suis pas un scientifique, donc si je ne comprenais pas ce qu’ils proposaient, je refusais de l’inclure dans l’expo, au grand déplaisir de mes amis et employés du laboratoire scientifique. Je leur ai dit : « Vous savez que ce sont de simples citoyens, des gens intéressés qui viennent voir l’exposition. Il faut qu’ils comprennent ce qu’ils voient. »

 

Nous y avons consacré beaucoup de temps et d’argent. Jennifer McQueen, qui était toujours ma patronne à ce stade, était partie aux Bahamas, je pense. C’est à ce moment-là que nous avons manqué de fonds.

 

J’avais besoin de 45 000 dollars, je m’en souviens très bien. Je suis donc allé voir Bernard Ostry et je l’ai invité à prendre un café ou à dîner la semaine suivante. « Qu’essayez-vous d’obtenir de moi? », m’a t-il demandé. [Rire] Je lui ai répondu : « De l’argent. » Il m’a dit : « Eh bien, dites-moi toujours le montant dont vous avez besoin et nous nous verrons tout même la semaine prochaine. » « Nous avons besoin de 45 000 dollars », lui ai-je dit. « Pourquoi n’avez-vous pas commencé par là? », a t-il rétorqué. Il a immédiatement appelé son adjointe pour lui demander combien d’argent il restait dans le budget de Jennifer. Ils ont conversé à voix basse; je n’ai pas entendu la réponse, mais Bernard m’a annoncé que je pouvais avoir 45 000 dollars du budget de Jennifer.

 

Oh mon Dieu! En tout cas, nous avons terminé l’exposition. Elle était vraiment fabuleuse. Un documentaire a été tourné – que je n’ai jamais réussi à retrouver – et on a pris de nombreuses photos. Les gens pouvaient découvrir la façon dont une toile était restaurée, ainsi que la raison et le coût de sa restauration. On abordait toutes les facettes du sujet.

 

Comme je l’ai dit, l’exposition s’intitulait Un avenir pour le passé. Après, nous sommes passés au projet de laboratoires mobiles, après que Jennifer a eu fini de me pendre et de m’écarteler à son retour, lorsqu’elle a découvert que la moitié de son budget avait disparu et que son patron me l’avait donné. Elle m’a dit : « Je sais ce qui est arrivé, vous l’avez convaincu avec vos belles paroles. Si j’avais été ici, vous n’auriez jamais vu la couleur de cet argent ». Je lui ai répondu que je m’en doutais bien. [Rire] Cela dit, ce n’était pas une personne malveillante; mais bon, elle m’a prévenu que je passerais le reste de mes jours à balayer les rues du centre-ville si je récidivais.

 

J’ai ensuite demandé à Lyn Ogden, qui n’avait pas de laboratoire, de réfléchir aux laboratoires mobiles. J’en avais vu lors de mes voyages à travers le monde. Nous avons donc acheté des fourgonnettes que Lyn a aménagées en laboratoires : les sciences d’un côté, les microscopes de l’autre pour le collage de pots et d’autres choses. L’idée était que les laboratoires seraient lancés par le Conseil consultatif. C’était un détail terriblement important. Nous n’allions pas nous contenter de faire le tour d’Ottawa, ce qui préoccupait tout le monde à cette époque. Les membres du conseil allaient nous indiquer les petits musées ayant réellement besoin de notre laboratoire. Donc, un restaurateur principal partait avec un stagiaire. Au début, c’était l’un de ces pauvres jeunes que nous essayions de former (et je pense que nous y sommes parvenus). Ils sont principalement devenus des dirigeants de laboratoires aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, une personne plus jeune et une personne plus expérimentée suivaient la route choisie en collaboration avec le conseil consultatif du district en question. En bon homme politique que je suis, je m’assurais que le conseil consultatif informe toutes les chaînes de télévision, tous les journaux, tous les médias de la nouvelle. « Les autorités fédérales arrivent en ville » : cela ne vous coûtera rien et ils vont vous aider. Lors des premiers voyages, j’accompagnais le restaurateur principal. Ce fut très distrayant. Nous avons eu une couverture médiatique extraordinaire.

 

NNM : Où êtes-vous allé lors de votre premier voyage?

 

BA : Je pense que nous sommes allés au Nouveau Brunswick. Ce qui était génial, et je reviens à ces conseils consultatifs, c’est que si nous ne restions que deux ou trois jours à un endroit, le président du conseil consultatif – un professionnel qui était parfois un conservateur, parfois un bibliothécaire – nous accueillait et je n’avais pas à parler toute la journée, ce qui faisait mon affaire. Nous avions donc beaucoup de public, et la quasi-totalité des musées, des galeries et des bibliothèques nous envoyaient du personnel. Nous traitions quelques objets, je collais quelques pots. Il est vrai qu’à l’époque, les laboratoires régionaux nous coûtaient environ un demi-million de dollars par an, mais ils nous permettaient de faire tellement de choses! Je veux dire, le gouvernement fédéral aimait ce programme, Bernard Ostry aussi, tout comme mon supérieur. Puis nous avons eu un nouveau secrétaire général adjoint, avec qui j’ai eu une ou deux disputes au sujet des rapports de fin d’exercice, de commentaires qu’il avait écrits sur moi et de certaines de mes répliques.

 

Je me trouvais donc au Nouveau Brunswick, je pense, avec le secrétaire général adjoint de la Société, Robert Nichols, duquel je relevais. Il m’a demandé combien coûtaient les laboratoires mobiles. Je lui ai dit qu’ils coûtaient environ un demi-million de dollars. Il m’a dit alors qu’il avait déclaré à un journaliste de télévision la veille qu’il couperait notre budget d’un demi-million de dollars. J’en ai donc parlé avec des journalistes de la télévision locale. Ils étaient très déçus, car les laboratoires mobiles remportaient un franc succès.

 

Mais je savais que mes jours étaient comptés après certaines des notes de service sibyllines que j’avais envoyées à mon patron. J’ai été muté au Service des lieux historiques nationaux, dont le directeur, Bill Taylor, était un très vieil ami à moi. On m’a envoyé travailler avec l’archéologue. J’ai essayé de dégeler des sites archéologiques dans le Nord qui n’avaient jamais été dégelés, et d’autres projets du genre. J’ai aussi continué à travailler avec l’ICOM : je participais à des réunions, j’ai passé une année à Paris – ce dont je ne me plaindrai pas, bien sûr – et j’ai effectué d’autres voyages ailleurs dans le monde.

 

J’ai quitté avec beaucoup de tristesse l’Institut de conservation et les comités régionaux. À l’époque, tous m’ont soutenu et ont protesté contre mon renvoi, même à l’échelle internationale. Le secrétaire général de l’UNESCO s’est plaint en vain auprès du gouvernement. « Vous l’avez viré? Vraiment? », leur a-t-il demandé. À la même époque, le gouvernement a démantelé les conseils consultatifs. L’Institut a changé et le monde a évolué. Il était beaucoup plus facile de collecter des fonds autrefois. Je pouvais demander 10 années-personnes et un demi-million de dollars, et personne ne cherchait à avoir ma peau pour cela. Bien sûr, on pouvait me répondre que je ne pouvais avoir que huit personnes, mais c’est tout.

 

Le contexte était alors complètement différent. Tout le monde, je pense, croyait en l’Institut, du premier ministre au moindre fonctionnaire. Le premier ministre nous téléphonait parfois et venait prendre un café avec le personnel, jamais avec moi personnellement. Ces gens-là venaient prendre un café dans la salle du personnel. C’était très bien, vous savez, que les conservateurs soient au courant de ces visites du premier ministre et des ministres.

 

Un jour, le premier ministre m’a appelé pour me dire qu’il recevait actuellement un président africain et que ce dernier lui avait offert une statue en bois. Je lui ai dit que c’était très bien, mais que je ne voyais pas en quoi cela concernait l’Institut. Il m’a répondu qu’il pensait qu’il s’agissait d’une sculpture en bois et qu’elle avait été tachée avec de l’encre de Chine. Il se demandait donc si deux de nos dames pourraient y jeter un coup d’œil. Pierre Trudeau demandait toujours qu’on envoie des femmes. [Rire] Et les dames ne s’en plaignaient pas. Elles y sont donc allées et ont enlevé l’encre de Chine de la statue.

 

Deux ans plus tard, je reçus un appel du bureau du premier ministre me demandant si je me souvenais de cette statue. « Oui, très bien, vous avez été très aimable avec mes employées, vous leur avez offert à souper, notamment ». Il m’a demandé de deviner ce qu’il en avait fait. Je lui ai répondu que je ne pensais pas qu’elle lui plaisait, mais que je ne savais pas ce qui lui était arrivé. Il m’a répondu qu’il l’avait mise dans le jardin et qu’elle était donc enfouie sous environ 8 à 10 pieds de neige. Je l’interrompis pour lui demander quel était le problème, car il avait tendance à me raconter de longues histoires. Il m’a répondu : « Cet homme est maintenant président de son pays. Il revient ici et nous avons un souper officiel. Il a exprimé le souhait de voir sa statue ». Je lui ai alors dit : « Alors vous avez encore besoin de deux de mes dames? » « Exactement », me répondit-il. Alors les dames y sont allées pour refaire une beauté à la statue en bois.

 

Le lendemain, le bureau du premier ministre envoyait à ces deux femmes des invitations scellées pour un souper et une représentation au Centre national des Arts, dans une loge. C’est ainsi qu’il traitait nos employés. J’ai ensuite reçu un petit bordereau jaune de courrier interne où il avait écrit « Bon travail ». Lorsqu’il a fini par prendre sa retraite ou démissionner, il m’a appelé pour me dire qu’il aimerait que je vienne le voir pour une visite privée. Je lui ai répondu que je serais là dans peu de temps. À mon arrivée, il m’a dit que mes employées avaient toujours été très aimables avec lui et qu’il était reconnaissant de la gentillesse dont j’avais fait preuve à son égard. Il m’a invité dans son bureau, dont les murs étaient recouverts d’aquarelles. Il m’a dit : « J’aimerais que vous en choisissiez une pour vous. Décrochez-la vous-même du mur, je ne vous la donne pas, prenez-la simplement ». J’ai choisi une copie – je savais que c’était une copie – d’une œuvre du peintre français Pissarro. Sur cette petite aquarelle tout à fait ravissante figurent quatre ou cinq femmes dans un bois. Cela dit, j’aime les peintures, pas les aquarelles, mais c’est ce qu’il m’a donné.

 

KJ : Incroyable, c’est une belle histoire.

 

BA : Telle est alors la réputation de l’ICC. J’étais à Venise, je crois. Il y avait une activité médiatique pour le Comité international de l’ICOM, dont je présidais la réunion. Ils voulaient que je parle aux médias. Les journalistes m’ont demandé pourquoi la conservation était importante selon moi et qu’en était-il de la conservation dans le monde. Je leur ai répondu que la plupart des pays communistes d’Europe de l’Est disposaient de grands laboratoires de conservation dans le cadre de leur mandat de préservation de la culture. Que plus on allait à la gauche du spectre politique, mieux l’éducation, les bibliothèques et les arts se portaient et que plus on allait vers à droite, plus c’était difficile.

 

J’ai été cité dans le monde entier, dans le Times et dans tous les journaux du monde et du Canada. J’ai reçu un appel le lendemain. En me passant le téléphone, ma secrétaire m’a dit : « Vous êtes dans le pétrin. » Je lui ai demandé pourquoi. Elle m’a répondu : « C’est le premier ministre et il est en colère! » C’était Joe Clark. Il avait été élu pendant mon absence. « Monsieur Arthur, j’ai tellement aimé votre déclaration, saviez-vous que vous êtes passé à la BBC International? »

 

« Non, monsieur. »« Eh bien, vos propos ont été diffusés en direct au Canada, pendant mon déjeuner », me dit-il. Et j’ai répondu : « Oui, monsieur. » « Je suis ravi que vous soyez notre porte-drapeau à l’étranger, dit-il. C’est absolument merveilleux de voir un Canadien faire cela. » Il était très aimable et ne cessait de me dire à quel point c’était bien. « Une petite précision, Monsieur Arthur : j’ai été élu pendant votre absence et cela pourrait vous surprendre, mais je ne suis pas membre d’un gouvernement de gauche. [Rire] Je suis le premier ministre conservateur de votre fichu pays! » Je lui ai répondu que je pouvais essayer de me rétracter. Il m’a répondu qu’il aimerait bien cela, mais que nous savions tous les deux que ce serait impossible. Puis il m’a dit : « Je veux seulement que vous compreniez que je m’intéresserai personnellement à l’Institut de conservation, comme l’ont fait mes prédécesseurs, mais n’oubliez pas ceci : lorsque vous ouvrez la bouche à l’étranger, vous représentez votre pays, et le nouveau premier ministre n’aime pas être décrit de cette manière ». « Oui monsieur. »

 

Je l’aimais bien; nous avons eu de nombreux contacts par la suite, mais voilà le genre de choses qui se passait – et qui continue de se passer – sur la scène internationale. Je veux dire que la conservation en Amérique est en pleine crise de nos jours. Le Smithsonian, demandez à n’importe quel de vos collègues, vit une situation très difficile. Je pense qu’un pays qui ne préserve pas sa culture va vers son déclin. Vous savez, je pense qu’il est absolument nécessaire que les gens puissent revenir sur le passé à l’aide de preuves tangibles. Que ce soit la poésie, l’écriture, les auteurs, je veux dire que j’inclus tout dans le domaine. Et la conservation n’en est qu’une très petite partie, sauf que la conservation préserve des objets et des toiles que les gens peuvent aller voir. Et je crois que c’est d’une importance capitale.

 

Je le crois encore fermement, tout comme M. Trudeau, Pierre Trudeau et M. Pelletier. C’est le rôle du gouvernement canadien sur la scène internationale et nationale, et c’est la raison pour laquelle on m’a donné trois ans pour faire de l’Institut une organisation de premier plan sur la scène internationale. Je pense qu’il est tragique que nous ayons abandonné ce rôle. J’ai commencé une publication ici, et le même secrétaire général l’a censurée. Cela dit, j’ai quand même pu faire passer mes messages, car nous l’avons envoyée gratuitement aux organisations internationales.

 

NNM : Vous vouliez ainsi redorer le blason de l’ICC?

 

BA : Oui. Cela voulait dire que si l’on avait besoin d’aide du Smithsonian ou de l’Australie – ce qui était le cas, vous savez –, ils disaient « ah oui, ce sont ceux qui nous ont envoyé des CD et d’autres trucs, et qui nous ont prêté l’un de leurs employés pour un voyage ». Ces pratiques de relation publique revêtaient donc une très grande importance, je crois.

 

[Musique : « Here’s Where Things Get Interesting » de Lee Rosevere, de l’album Music for Podcasts 6. Style : minimalisme électronique]

 

NNM : Je remercie Brian Arthur et ma coanimatrice Kelly Johnson. L’ICC et le RCIP se racontent est une production de la Division du partage du savoir de l’Institut canadien de conservation.

 

L’ICC et le RCIP se racontent est une production de l'Institut canadien de conservation, ministère du Patrimoine canadien.  

Notre musique a été composée par Lee Rosevere.

Voix hors-champ par Mike Tobin.

Aide à la production par Pop-Up Podcasting.

Notre musique est de Lee Rosevere.

 

Qui aimeriez-vous que nous interviewions dans le cadre de cette baladodiffusion? Visitez la page Facebook de l’Institut canadien de conservation et faites le-nous savoir.

 

Dans le prochain épisode : « Il y a quelque chose à l’intérieur. Si nous le secouons… Oh oui, secouons-le, secouons-le! Comment allons-nous l’ouvrir pour découvrir ce qu’il y a à l’intérieur? Prenons une scie à métaux ». Nous avons donc laissé Bob s’en occuper, et cette chose humide est tombée. C’était humide et vert. C’était un morceau de quelque chose, humide et gluant. C’était [bruit d’inspiration]. »